posté le 12-12-2011 à 21:49:59
Le plus petit des Korrigans
Le plus petit des Korrigans
Anicet le Bossu faisait métier de jouer du biniou.
Sitôt qu'il y avait une noce dans le pays, on le voyait arriver l'instrument sous le bras et suivi de son chien Gwendal. Il jouait le temps qu'il fallait et souvent plus.
- A se revoir la compagnie ! Allez Gwendal, derrière ! Et le voilà parti allant d'un côté à l'autre, de gauche à droite, de droite à gauche.
Il est vrai que la dernière bolée de cidre est souvent la bolée de trop !
- Je ferai mieux de me coucher, oui ! et il se laissa tomber au pied d'un rocher tapissé de fougères sèches.
Il n'eut guère le temps de dormir ; il fut vite réveillé par les aboiements plaintifs de Gwendal qui n'en finissait pas de trembler sur ses pattes.
- Vrai, il se passe quelque chose de pas normal ! et c'est alors qu'il entendit tout un remue-ménage à un mètre à peine, sous une énorme pierre.
- Seigneur Dieu! Un repaire de korrigans ! C'est bien ma chance ! et de répéter chaque fois qu'un des lutins sortait de la terre :
- Le bonjour à toi ... et à toi aussi ... le bonjour à vous tous !
- et le bonjour à toi ! Répondit celui qui avec sa barbe en pointe, des sourcils broussailleux avait des allures de chef.
Et à son signal, les korrigans se mirent tous à danser autour d'Anicet en chantant : Dilin ha dimern, Mar de achiui hou tra ho Ké ha ké ha ké Mar de achiui ou traou Ka hé ké ha ké ... (Lundi et Mardi si vous achevez votre travail, regrets et regrets vous aurez !) La chanson s'arrêtait là.
Il y avait bien une suite, mais aucun korrigan n'en connaissait le premier mot ! Alors ils reprenaient sans cesse les mêmes paroles, attendant vainement la suite.
- Tu connais la loi des korrigans ? demanda celui qui avait des allures de chef.
- Ma foi non !
- Soit tu trouves la fin de la chanson et tu deviens l'homme le plus riche du monde...
- et si je ne trouve pas ?
- je ne sais pas encore. On te changera peut être en crapaud ! ou bien on te collera une deuxième bosse sur le dos ! Attends un peu... J'ai une autre idée ! Sais-tu quel jour nous sommes ?
- ma foi non !
- Le 23 septembre... Le jour de la Saint-Kadog, le saint patron des korrigans ! La tradition veut que ce jour-là nous racontions des histoires, des histoires de lutins, bien sûr, et toujours en exagérant. Alors, puisque tu es là, nous te choisissons comme juge. A toi de décider, entre trois de nos conteurs lequel est le plus vantard. Seulement souviens-toi de ce que je vais te dire : "Per gwirion n'eo ked mad da laret !" (toute vérité n'est pas bonne à dire !).
Le premier korrigan commença ainsi :
- Ne cherchez pas ! je suis le plus petit. Et c'est de famille ! A l'époque où mon pauvre père vivait et où un lutin était encore un lutin, il passait sous le poitrail d'un cheval sans avoir à se baisser ! et on l'applaudit comme il se devait.
Le deuxième était déjà plié en deux par le fou rire :
- Eh bien moi, mon père était plus petit encore ! Pensez un peu : d'une niche de chien il s'était fait une demeure de cinq pièces !
Et on l'applaudit tout autant. Vint le troisième concurrent.
- Quelle chance vous avez tous les deux d'avoir connu vos pères ! Le mien est mort bien avant ma naissance. C'est ma mère qui m'a appris qu'il s'était tué en tombant d'une échelle alors qu'il cueillait des fraises dans la région de Plougastel !
- alors ? Lequel des trois a le plus exagéré ?
- Pas plus l'un que l'autre.
- Comment, rugit le troisième korrigan-conteur, n'ai-je pas mieux menti que les autres ?
- Peut être, mais si je l'avais dit, les deux autres m'auraient assommé.
- Ca c'est sûr ! Dis donc, tu as oublié d'être bête, toi !
- je me suis souvenu : "Toute vérité n'est pas bonne à dire !"
Ankou La Légende Bretonne fb